Un document qui nous a été aimablement signalé par un membre de l’association Aprogemere permet de revenir sur l’histoire d’une croix . Établi en 1776 par le curé de Talizat, ce document présente un grand intérêt pour la mémoire locale dans le domaine du « petit patrimoine », car il nous livre « pour mémoire à la postérité », des informations concernant une croix métallique avec de nombreux détails sur les circonstances de son érection, son prix et le nom des artisans qui l’ont confectionnée. La commande émane des marguilliers, personnes responsables des finances de la paroisse, à l’initiative du curé, Mathieu Costerizans. Celui-ci n’était pas originaire de Talizat mais de Brioude, où il naît en 1738, mais il va demeurer quarante ans curé de cette paroisse cantalienne, de 1772 à 1812, et y laisser un souvenir durable. 1776 est une « année sainte » ou jubilaire, c’est-à-dire une année d’invitation à la conversion, à la pénitence et au pardon, initiée par Rome tous les vingt-cinq ans. Les évêques invitaient les paroissiens à s’unir derrière le pape par le biais d’un mandement les incitant à vivre l’année jubilaire dans leurs paroisses. À Talizat, l’abbé Costerizans saisit l’occasion pour prêcher lui-même une mission, qu’il achève par la bénédiction d’une croix, cérémonie « à laquelle il y avait un concours extraordinaire ». À cette occasion, les marguilliers récoltent 126 livres qui financent en partie la croix dont le coût total s’élève à 282 livres.
Quatorze ans plus tard, l’abbé Costerizans refuse de prêter serment et se réfugie avec ses deux vicaires dans diverses maisons où ils sont cachés et protégés. Il mobilise les femmes et délivre des sacrements clandestinement, à tel point que les prêtres « jureurs » refusent de venir à Talizat, se sentant menacés par une population hostile. Le père Costerizans sera emprisonné au Puy quelques temps, puis autorisé à reprendre son poste de curé en 1798, qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1812.
Édifiée initialement sur la place devant l’église, la croix a été déplacée dans le nouveau cimetière, où par chance elle se trouve encore. Il s’agit d’une grande croix métallique ajourée et décorée de volutes et de certains instruments de la Passion : couronne d’épines et tenailles, échelle, marteau et lance. Les extrémités portent des cœurs bombés. C’est un dénommé Jean Malet, maréchal-ferrant à Roffiac, qui l’a réalisée et placée sur un piédestal en pierre de taille. Les registres de catholicité de Roffiac nous livrent deux possibilités, Jean Malet maréchal (maréchal-ferrant), né vers 1698 et décédé en 1780 à 82 ans (il aurait eu 78 ans au moment de la commande) et Jean Malet maréchal né vers 1734 et décédé en 1789, à 55 ans, peut-être plus vraisemblablement l’auteur de cette croix.
Des lacunes dans les registres ne nous permettent pas d’établir s’il était le fils du premier, mais c’est hautement probable. Plusieurs croix du même type existent dans ce secteur et notamment sur la place de Roffiac. Ces grandes croix métalliques apparaissent au XVIIIe siècle et portent souvent les instruments de la Passion sur le fût et le croisillon. Fabriquées par des forgerons, elles se présentent presque toutes sur le même modèle : une ou plusieurs barres de section carrée forment le contour (avec un très long fût); l’intérieur est comblé avec des volutes décoratives ou certains instruments de la Passion ; sur les angles du croisillon sont fixés des rayons qui évoquent l’image d’un grand ostensoir ; à l’intersection de la croisée se trouve généralement la couronne d’épines. Les extrémités des bras se terminent par des cœurs, des fleurs de lis ou des boules. La croix est fixée sur un piédestal en pierre à l’aide de quatre barres recourbées. L’une des plus anciennes croix de ce genre, dans le secteur, est celle des Ternes, datée de 1759. Celle de Roffiac est assez proche sur le plan stylistique et sort très certainement du même atelier. Les modèles ont circulé encore bien après la Révolution, comme en témoignent la croix d’Albepierre, qui porte le millésime 1805, celle de Rézentières (1824), de Ségur (1832) ou encore de Lavastrie (1839). L’archive nous apprend également que cette croix était peinte et dorée à l’origine, travail qui a été assuré par « le sieur Lacombe doreur demeurant à Murat ». À Talizat, la vieille croix a été transportée dans le cimetière et une autre croix en fer a été érigée devant l’église, en souvenir d’une nouvelle mission prêchée en 1886. Elle est décorée d’un crucifix en fonte de bonne facture, mais beaucoup plus quelconque que les croix qui étaient faites par les forgerons à la fin du XVIIIe siècle.
Pascale Moulier
Le 22 décembre 1776, à la suite du jubilé universel de l’année Sainte, et d’une mission ou retraite que j’ai donnée à mes paroissiens, a été plantée la croix de fer sur la place de Taleizat, pesant avec les consoles 224 livres.
Cette croix a été faite par Jean Malet maréchal demeurant à Roffiac, peinte et dorée par le sieur Lacombe doreur demeurant à Murat, et par les soins d’Étienne Marliac de Pierrefite, de Pierre et Jean Estival de Vernières, marguilliers actuels de ladite paroisse, et principalement de Pierre Juille ancien marguillier.
Cette croix a coûté, savoir, pour sa construction, au maréchal 135 livres
Peinture et dorure 51 livres
Le siège ou piédestal en pierres de taille prises dans la paroisse de Roffiac 72 livres
Les barres de fer pour affermir le siège, ou autre menues dépenses environ 24 livres
Total 282 livres
La libéralité de plusieurs particuliers, et l’offrande que le peuple a faite après la bénédiction de ladite croix à laquelle il y avait un concours extraordinaire, laquelle offrande a produit 126 livres, ont fourni à toutes les dépenses.
J’ai fait solennellement la bénédiction de cette croix avant un sermon, intra missarum solemnia en vertu du pouvoir à moi accordé par Mgr Marie-Anne Hippolyte de Bonteville, évêque de Saint-Flour, au commencement de son épiscopat, et ledit seigneur a attaché une indulgence de quarante jours.
Pour mémoire à la postérité
Costerizans, curé de Taleizat